Dans un contexte économique tendu, les marques cherchent à générer plus de valeur sans sacrifier leur volume de vente. La premiumisation est l’une des réponses les plus séduisantes… mais aussi les plus risquées. Car si les consommateurs sont prêts à dépenser plus, encore faut-il qu’ils comprennent pourquoi. Autrement dit : créer un prix premium sans valeur perçue en retour, c’est l’aliénation assurée.
Pour rappel la premiumisation est une démarche qui consiste à faire monter en gamme un produit ou service existant, à le proposer sous une version « luxe » ou à le décliner sous des formes dites premium.
Le prix ne fait pas tout : la valeur comme boussole
Une prime à la perception
La premiumisation ne consiste pas à gonfler artificiellement les prix, mais à faire ressentir au consommateur que le produit justifie chaque centime supplémentaire. Dans des catégories fortement commoditisées comme le lait – où les produits sont perçus comme interchangeables et soumis à une guerre des prix – des marques comme Arla ont réussi à recréer de la valeur perçue. Grâce à un procédé de filtration différenciant et un branding affirmé (Cravendale), elles ont su transformer un produit du quotidien en une proposition premium. Résultat : un lait « ordinaire » devenu désirable, car perçu comme supérieur.
La pression de la MDD
Mais cette stratégie ne fonctionne que si elle surpasse la montée en puissance des marques de distributeurs. Celles-ci, autrefois simples alternatives low cost, proposent aujourd’hui des gammes différenciées, parfois durables et innovantes, avec un branding de plus en plus léché. Le rapport qualité/prix devient ainsi un terrain miné pour les marques nationales.
Les leviers concrets de la premiumisation réussie
Formulation, expérience, storytelling
Pour rester dans la course, les marques doivent miser sur :
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des formules améliorées (ingrédients exclusifs, technologies avancées),
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une expérience sensorielle rehaussée (packaging, textures, storytelling),
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et surtout : un bénéfice clair et identifiable.
L’exemple de Dove est emblématique : sa gamme de gels douche aux noms évocateurs comme “deeply nourishing” fait monter en gamme un produit du quotidien, tout en donnant envie de l’essayer.
Distribution maîtrisée = valeur protégée
Choisir ses canaux de distribution fait aussi partie de l’équation. Être présent en discount sans dévaloriser son image, c’est un art. L’utilisation de formats exclusifs, de séries limitées ou de formules “quand y’en a plus, y’en a plus” permet de ménager l’image premium sans renier la réalité du marché.
Trois grands modèles d’usage du Premium
La premiumisation ne suit pas un schéma unique : elle s’inscrit dans des logiques différenciées selon le type de marque et ses objectifs de marché. On distingue ainsi trois grands modèles d’usage :
Full Premium Strategy (Stratégie Premium Intégrale)
Certaines entreprises font du premium leur ADN de marque, en construisant une offre entièrement positionnée sur ce segment. Elles activent les codes du luxe – innovation, qualité perçue, esthétique léchée, expérience client sur-mesure – sans forcément entrer dans l’univers de l’ultra-haut-de-gamme. Apple, Mercedes ou Nespresso incarnent cette vision, avec une chaîne de valeur cohérente, du produit jusqu’à la distribution.
Premium Line Extension (Montée en gamme ciblée)
Des marques dites « généralistes » utilisent le premium comme levier de montée en gamme. Il peut s’agir d’extensions de ligne, de sous-marques, ou de gammes exclusives. Cette stratégie leur permet d’attirer une nouvelle clientèle, de fidéliser les consommateurs à fort pouvoir d’achat, et de redorer leur image. L’exemple de DS, initialement lancé par Citroën en 2009, illustre bien ce mouvement : ce qui n’était qu’une gamme haut-de-gamme est devenu une marque à part entière du groupe PSA.
Downward Premium Diffusion (Premiumisation vers le bas)
Certaines marques de luxe s’ouvrent au premium pour élargir leur audience. Sans renier leur identité exclusive, elles créent des lignes plus accessibles (souvent via une sous-marque), afin de séduire une clientèle aspirante sans sacrifier leur aura. Pensons à Marc by Marc Jacobs ou à certains accessoires Louis Vuitton, proposés à des prix étudiés pour capter une clientèle plus jeune ou internationale. L’enjeu : démocratiser le rêve, sans banaliser la marque.
Un effet halo qui dépasse le produit
Quand le haut de gamme sert le reste de la gamme
La premiumisation peut aussi générer un “halo effect”. Comme Audi qui booste la désirabilité de ses A3 en montrant des R8 à la télé, une innovation haut de gamme dans une gamme FMCG peut rehausser l’image de l’ensemble de la marque.
Chez Arla, l’opération Farmer’s Milk – qui proposait de payer 25 pence de plus pour soutenir les producteurs – a ajouté 10 millions de livres de chiffre d’affaires au rayon lait. Une preuve que la valeur perçue peut venir de la cause soutenue autant que du produit.
Les pièges à éviter : trop peu, trop tard, ou trop cher
Quand l’élite devient élitiste
La premiumisation échoue quand :
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elle ne s’adresse qu’à une micro-cible sans masse critique,
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elle repose sur des arguments trop subtils ou peu différenciants,
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elle néglige les autres segments (entrée et milieu de gamme).
L’échec du beurre Lurpak Slow Churned illustre bien cela : malgré un bon produit, un packaging soigné et une belle campagne, le public n’a pas suivi. Le prix était trop élevé pour ce que les consommateurs étaient prêts à percevoir.
S’adapter au contexte économique : le cas du “lipstick effect”
Le luxe abordable, une oasis en temps de crise
Certaines catégories premium résistent bien aux crises, grâce à l’effet “lipstick” : les consommateurs coupent dans les grandes dépenses mais se font plaisir sur des petits luxes. Le café illustre parfaitement cette tendance : de la capsule Nespresso à l’équipement barista, l’expérience premium s’est démocratisée.
En misant sur des repères de valeur forts (un café maison haut de gamme reste moins cher qu’un espresso en terrasse), la marque justifie l’up-sell. Le secret : ancrer sa valeur perçue dans un quotidien amélioré, pas dans un luxe inatteignable.
Conclusion : faire payer plus, c’est facile. Donner envie de payer plus, c’est l’art.
La premiumisation est une arme stratégique puissante… à condition de ne pas l’utiliser à l’aveugle. Elle nécessite une vraie compréhension du consommateur, une obsession de la valeur ajoutée, et une exécution sans faille. Le prix n’est jamais une fin en soi, c’est un signal : celui d’un bénéfice clair, d’une expérience rehaussée, ou d’une cause soutenue.
Mener une stratégie premium gagnante, c’est faire en sorte que le client ne se dise pas : “C’est cher”, mais plutôt : “C’est juste”. Et là, la magie opère.
En savoir plus :
Premiumisation vs alienation: The fine line marketers can’t afford to cross (marketingweek.com)
La premiumisation ou pourquoi les marques montent en gamme (logic-design.fr)
Premiumisation – Définitions Marketing » L’encyclopédie illustrée du marketing (definitions-marketing.com)
Psychologie des dépenses : l’effet rouge à lèvres décodé | Mailchimp
Quelle relation client dans les stratégies de premiumisation ? (sia-partners.com)
Saint-Valentin : les vrais-faux produits de Monoprix pour draguer en magasin (lsa-conso.fr)