Micha Kaufman, fondateur et PDG de Fiverr, a récemment adressé un message percutant à ses équipes concernant l’impact imminent de l’intelligence artificielle sur le monde du travail.
Cette déclaration, empreinte de ce qu’il appelle une « franchise radicale », sert d’avertissement sur la transformation rapide et inévitable de nos métiers face à la révolution de l’IA. Sans détour ni complaisance, Kaufman dépeint un avenir professionnel où seuls ceux qui s’adapteront et maîtriseront les nouvelles technologies pourront maintenir leur pertinence dans leur domaine.
Before it gets out somewhere else, this is an email I sent yesterday morning to my team. It applies equally to the freelance community pic.twitter.com/eLnFlJE9CZ
— Micha Kaufman (@michakaufman) April 8, 2025
Micha Kaufman n’est pas un observateur ordinaire du marché du travail. En tant que fondateur de Fiverr, l’une des principales plateformes mondiales de freelance, il possède une vision panoramique des tendances qui façonnent l’avenir du travail. Son message, reproduit ci-dessous dans son intégralité, mérite notre attention pour sa lucidité et sa vision prospective.
La déclaration de Micha Kaufman (traduction intégrale)
Salut l’équipe,
J’ai toujours cru en la franchise radicale et je méprise ceux qui édulcorent la réalité pour éviter d’énoncer des vérités désagréables. La base même de la franchise radicale est le souci des autres. Vous vous souciez suffisamment de vos amis et collègues pour leur dire la vérité, car vous voulez qu’ils puissent la comprendre, évoluer et réussir.
Voici donc la vérité désagréable : l’IA vient prendre vos emplois. En fait, elle vient aussi prendre le mien. C’est un signal d’alarme.
Peu importe si vous êtes programmeur, designer, chef de produit, data scientist, juriste, agent de support client, commercial ou financier – l’IA vient pour vous.
Vous devez comprendre que ce qui était autrefois considéré comme des « tâches faciles » n’existera plus ; ce qui était considéré comme des « tâches difficiles » deviendra le nouveau « facile », et ce qui était considéré comme des « tâches impossibles » sera le nouveau « difficile ». Si vous ne devenez pas un talent exceptionnel dans votre domaine, un maître, vous serez confronté à la nécessité de changer de carrière en quelques mois. Je n’essaie pas de vous faire peur. Je ne parle pas de votre emploi chez Fiverr. Je parle de votre capacité à rester dans votre profession au sein de l’industrie.
Sommes-nous tous condamnés ? Pas tous, mais ceux qui ne se réveilleront pas et ne comprendront pas rapidement cette nouvelle réalité sont, malheureusement, condamnés.
Que pouvons-nous faire ? Tout d’abord, prenez un moment pour assimiler cela. Buvez un verre d’eau. Criez fort devant le miroir si cela vous aide. Maintenant, détendez-vous. La panique n’a jamais résolu les problèmes. Parlons de ce qui vous aiderait à devenir un talent exceptionnel dans votre domaine :
- Étudiez, recherchez et maîtrisez les dernières solutions d’IA dans votre domaine. Essayez plusieurs solutions et découvrez ce qui vous donne des super-pouvoirs. Par super-pouvoirs, j’entends la capacité à générer plus de résultats par unité de temps avec une meilleure qualité par livraison. Programmeurs : code (Cursor…). Support client : tickets (Intercom Fin, SentiSum…), Juristes : contrats (Lexis+ AI, Legora…), etc.
- Trouvez les personnes les plus compétentes de notre équipe qui peuvent vous aider à vous familiariser avec les dernières avancées en IA.
- Le temps est notre ressource la plus précieuse—si vous travaillez comme si nous étions en 2024, vous faites fausse route ! On attend de vous que vous fassiez plus, plus vite et plus efficacement maintenant.
- Devenez un ingénieur de prompts. Google est mort. Les LLM et GenAI sont les nouveaux fondamentaux, et si vous ne les utilisez pas en tant qu’experts, votre valeur diminuera avant même que vous ne compreniez ce qui vous a frappé.
- Impliquez-vous dans l’amélioration de l’efficacité de l’organisation en utilisant les outils et technologies d’IA. Il n’est pas logique d’embaucher plus de personnes avant d’apprendre à faire plus avec ce que nous avons.
- Comprenez bien la stratégie de l’entreprise et contribuez à l’atteinte de ses objectifs. N’attendez pas d’être invité à une réunion où nous demandons à chaque participant des idées – il n’y aura pas de telle réunion. Au lieu de cela, proposez vos idées de manière proactive.
- Arrêtez d’attendre que le monde ou votre lieu de travail vous offre des opportunités d’apprentissage et de croissance—créez ces opportunités vous-même. Je m’engage à aider quiconque veut s’aider soi-même.
Si vous n’aimez pas ce que j’ai écrit ; si vous pensez que je raconte des conneries, ou que je ne suis qu’un connard qui essaie de vous faire peur – libre à vous d’ignorer ce message. Je vous aime tous et ne vous souhaite que de bonnes choses, mais je ne pense honnêtement pas qu’un avenir professionnel prometteur vous attende si vous ignorez la réalité.
Si, en revanche, vous comprenez au fond de vous que j’ai raison et que vous voulez que nous soyons tous du côté gagnant de l’histoire, rejoignez-moi dans une conversation sur notre avenir en tant qu’entreprise et en tant que professionnels individuels. Nous avons une entreprise magnifique et un avenir brillant devant nous. Nous devons simplement nous réveiller et comprendre que ce ne sera ni joli ni facile. Ce sera dur et exigeant, mais ça en vaudra vraiment la peine.
Ce message est matière à réflexion. J’ai demandé à Shelly de libérer du temps dans mon calendrier dans les prochaines semaines pour que ceux d’entre vous qui souhaitent discuter de notre avenir avec moi puissent le faire. Je me réjouis de vous voir.
Cordialement,
Micha
L’IA et la redistribution des cartes professionnelles : une analyse
Le message de Micha Kaufman soulève des questions fondamentales sur l’avenir du travail à l’ère de l’intelligence artificielle. Sa vision, bien que provocante, est profondément ancrée dans une réalité que nous commençons déjà à observer.
La redéfinition des niveaux de difficulté
Kaufman affirme sans détour que « ce qui était autrefois considéré comme des ‘tâches faciles’ n’existera plus ». Cette observation est déjà visible dans de nombreux secteurs. Les tâches répétitives, prévisibles et basées sur des règles sont progressivement automatisées. La rédaction de contenus simples, la programmation de base, la conception graphique élémentaire, l’analyse de données rudimentaire – toutes ces compétences jadis valorisées sont aujourd’hui à portée d’IA.
Parallèlement, les tâches que nous considérions comme difficiles deviennent effectivement plus accessibles. La création d’interfaces complexes, l’analyse de documents juridiques ou la génération de rapports financiers sophistiqués sont désormais assistées par l’IA, réduisant considérablement le temps et l’expertise nécessaires. Enfin, ce qui semblait impossible hier – comme la génération instantanée de code fonctionnel à partir d’une simple description, la création d’œuvres artistiques originales, ou l’extraction d’insights complexes à partir de vastes ensembles de données – devient le nouveau niveau « difficile » mais atteignable.
La polarisation des talents et des compétences
La conséquence logique de cette transformation est une polarisation croissante du marché du travail. Dans les dix prochaines années, nous assisterons à une amplification du phénomène de « winner-takes-all » (le gagnant rafle tout). Les meilleurs dans leur domaine – ceux que Kaufman qualifie de « maîtres » – verront leur valeur et leur influence s’accroître de façon exponentielle. Leur expertise, combinée à une utilisation stratégique de l’IA, multipliera leur productivité et leur impact.
En revanche, les professionnels moyens ou médiocres seront confrontés à un dilemme existentiel. Leurs compétences, facilement reproduites ou surpassées par l’IA, deviendront rapidement obsolètes. La reconversion professionnelle, présentée par Kaufman comme une nécessité « en quelques mois », risque effectivement de devenir une réalité pour une large partie de la main-d’œuvre, indépendamment du secteur ou de la fonction.
Pour survivre professionnellement, il faudra se concentrer sur des tâches à haute valeur ajoutée que l’IA ne peut pas (encore) accomplir efficacement : l’idéation créative, la prise de décisions complexes basées sur des valeurs, la sélection et l’arbitrage entre différentes propositions générées par l’IA, et surtout le relationnel humain authentique. Ces compétences, profondément humaines, constitueront le dernier bastion contre l’automatisation totale.
L’IA dans les sphères décisionnelles
Si Kaufman s’adresse principalement aux exécutants, il convient également de s’interroger sur l’impact de l’IA sur les fonctions décisionnelles. Les cadres dirigeants et les managers ne sont pas immunisés contre cette révolution. Comme le prédit Isaac Asimov dans son oeuvre « Fondation« , où des algorithmes psychohistoriques guident les décisions politiques, nous pourrions voir émerger des systèmes d’aide à la décision de plus en plus sophistiqués, capables d’analyser des variables complexes et de proposer des stratégies optimales avec une précision inégalée.
La prise de décision assistée par IA est déjà une réalité dans certains secteurs comme la finance ou la logistique. À mesure que ces systèmes gagneront en fiabilité et en transparence, ils pourraient progressivement remplacer certaines fonctions managériales intermédiaires et même influencer des décisions stratégiques de haut niveau. Le « jugement humain » que nous considérons comme irremplaçable pourrait se révéler moins unique et plus prévisible que nous ne le pensons.
Le besoin urgent de régulation et d’éthique
Face à cette accélération technologique, la question de la régulation et de l’éthique devient cruciale. Les entreprises technologiques développant ces solutions d’IA sont prises dans une course effrénée à l’innovation et à la domination du marché. Leur historique en matière d’autorégulation n’est pas rassurant – qu’il s’agisse de la protection des données personnelles, de la lutte contre la désinformation, ou de la prévention des biais algorithmiques.
Les pouvoirs publics et les leaders d’opinion doivent prendre leurs responsabilités pour encadrer cette révolution. Il ne s’agit pas simplement de protéger les emplois existants – une approche qui serait vouée à l’échec – mais d’assurer une transition équitable, de garantir que les bénéfices de l’IA soient largement partagés, et d’établir des garde-fous contre les applications potentiellement dangereuses. La régulation doit trouver un équilibre délicat entre encourager l’innovation et protéger les valeurs humaines fondamentales.
Conclusion : s’adapter à une nouvelle normalité
Le message de Micha Kaufman, aussi alarmant soit-il, n’est pas sans précédent historique. L’humanité a traversé de nombreuses révolutions technologiques qui ont profondément transformé le paysage professionnel : la machine à vapeur, les chemins de fer, l’automobile, l’automatisation industrielle, l’informatique personnelle, Internet… Chacune de ces innovations de rupture a suscité des craintes légitimes et a effectivement éliminé certains métiers, mais a également créé de nouvelles opportunités et de nouvelles formes de travail.
Si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que l’être humain excelle dans l’adaptation. Nous sommes tels des caméléons, capables de nous réinventer face aux bouleversements technologiques. La révolution de l’IA, malgré sa vitesse et son ampleur sans précédent, ne fait pas exception à cette règle. Plutôt qu’une menace existentielle, elle représente une invitation à repenser fondamentalement notre relation au travail, à développer de nouvelles compétences, et à explorer des dimensions de notre créativité et de notre intelligence sociale que nous n’avons peut-être pas encore pleinement exploitées.
L’avenir appartient à ceux qui, comme le suggère Kaufman, auront le courage de regarder la réalité en face et l’agilité d’évoluer avec elle. La franchise radicale qu’il prône n’est pas un luxe mais une nécessité pour naviguer dans ce nouveau paysage professionnel. Notre capacité collective à nous adapter déterminera si l’IA sera perçue par les générations futures comme une menace qui nous a submergés ou comme un outil qui nous a permis de nous élever vers une nouvelle définition du travail humain.
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