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Réseaux sociaux : Mythologie à l’ère du moi digital

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Dans un monde où le numérique imprègne chaque aspect de nos vies, nos identités en ligne sont devenues de véritables extensions de nous-mêmes. Mais avez-vous déjà songé au fait que votre présence sur les réseaux sociaux pourrait s’apparenter à une forme de mythologie personnelle ? Plongeons ensemble dans cette fascinante exploration de notre « moi digital » et de son impact sur notre psyché et notre société.

Le moi digital : Un nouveau chapitre de notre identité

Imaginez un instant que votre esprit soit une maison à quatre étages. comprendre-le-rôle-des-trois-instances-psychiques-qui-forgent-notre-personnalité-le-moi-le-ça-et-le-surmoi-en-psychanalyse-qu-est-ce-que-la-première-et-la-seconde-topique-freudienneAu sous-sol, vous avez le « Ça », cette partie primitive et instinctive de notre psyché, source de nos désirs et pulsions les plus profonds. Au rez-de-chaussée se trouve le « moi », cette partie consciente qui interagit quotidiennement avec le monde, tentant de concilier les exigences du Ça avec la réalité extérieure. Au premier étage, nous avons le « surmoi », notre conscience morale intérieure, qui nous guide vers ce qui est considéré comme juste et acceptable.

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Et maintenant, ajoutez un nouvel étage à cette maison : le moi digital, qui n’est pas simplement une représentation en ligne de qui nous sommes. C’est une entité à part entière, façonnée par nos aspirations, nos idéaux et, parfois, nos fantasmes. Le moi digital interagit de manière complexe avec les autres « étages » de notre psyché : il peut être influencé par les pulsions du Ça, modéré par le surmoi, et négocié par le moi. Sur les réseaux sociaux, nous devenons les architectes de ce nouvel étage, créant une narration personnelle aussi captivante que les mythes d’antan, mais qui reflète et influence en retour l’ensemble de notre structure psychique.

Les réseaux sociaux, une Olympe moderne

Tout comme les dieux grecs avaient l’Olympe, nous avons nos plateformes sociales. Chacune d’entre elles est un royaume distinct où nous incarnons différentes facettes de notre personnalité, façonnant notre mythologie personnelle selon les codes et les attentes spécifiques de chaque plateforme :

Instagram : Le temple du lifestyle édulcoré

Instagram, dont l’essence est le partage de photos, est devenu le sanctuaire de l’esthétisme numérique. Ici, chaque publication est une offrande à l’autel de la perfection visuelle. Les utilisateurs sont poussés vers une quête incessante de l’image idéale, créant une représentation soigneusement curatée et souvent idéalisée de leur vie. Cette plateforme nous incite à devenir les directeurs artistiques de notre propre existence, transformant chaque moment banal en une opportunité de créer une image digne d’un magazine.

Impact : Nous finissons par comparer nos vies réelles à des versions édulcorées et retouchées, ce qui peut engendrer des sentiments d’inadéquation et d’insatisfaction personnelle.

Facebook : Le pionnier généraliste

En tant que premier réseau social grand public, Facebook occupe une place particulière dans notre panthéon numérique, surtout auprès des générations plus âgées (boomer, X et Y). C’est un lieu de partage où se mêlent vie privée et relations sociales. Sur Facebook, nous construisons une identité sociale notamment autour de nos centres d’intérêts, oscillant entre authenticité et idéalisation. C’est le lieu où nous partageons nos moments de vie, nos opinions, et où nous tissons un réseau complexe de connexions sociales, créant ainsi une tapisserie numérique de notre existence.

Impact : Nous construisons une identité sociale autour de nos centres d’intérêts, adoptant une représentation soit authentique soit idéalisée de notre vie. Cela peut créer un décalage entre notre vie réelle et l’image que nous projetons, influençant nos interactions sociales en ligne et hors ligne.

X (Twitter) : L’agora devenue un front

Ce qui était à l’origine un espace de microblogging axé sur le partage d’idées concises, s’est métamorphosé en une place publique mondiale, pour ensuite devenir une arène idéologique bouillonnante. Sur X (ex Twitter), le débat constructif a souvent cédé la place à la confrontation. Nous y partageons nos opinions comme des étendards, privilégiant souvent la véhémence à la nuance. C’est un champ de bataille où les idées s’affrontent, où chaque tweet peut devenir un cri de ralliement ou une déclaration de guerre. L’esthétisme y est secondaire ; c’est le royaume de l’esprit vif et de la répartie cinglante.

Relationships-between-Twitter-behaviors-and-functions-with-well-being-polarization_2Impact : Dans cet environnement où nos perceptions sont hiérarchisées par les algorithmes, nous avons tendance à exprimer des opinions plus tranchées et à nous identifier fortement à des camps idéologiques. Cela peut renforcer les clivages sociaux et altérer notre perception des nuances dans les débats de société et provoquer ce que l’on appelle la polarisation.

LinkedIn : Le paradoxe de la marque personnelle

LinkedIn se présente comme le théâtre professionnel de notre vie numérique. Sur cette scène, nous sommes contraints de construire une image édulcorée et parfois déconnectée de la réalité de notre vie professionnelle. C’est un jeu d’équilibriste où nous devons promouvoir nos compétences et nos réussites tout en restant authentiques.

Impact : La contrainte de construire une image édulcorée et parfois déconnectée de la réalité professionnelle peut engendrer un syndrome de l’imposteur, autant pour la personne qui publie que pour celle qui est spectatrice. Cela influence notre perception de notre propre valeur professionnelle et peut créer des attentes irréalistes envers nos carrières et celles des autres.

TikTok : Tendances et conformisme

TikTok, initialement prisée par la génération Z, s’est imposée comme la plateforme de l’expression créative instantanée. Axée sur les vidéos courtes et ludiques, elle encourage une créativité débridée tout en favorisant paradoxalement une certaine uniformisation. Les challenges viraux et les tendances qui se propagent à la vitesse de l’éclair sur TikTok poussent les créateurs à s’adapter en permanence aux trends du moment, tout en tenant d’apporter sa propre valeur ajoutée pour se démarquer.

Impact : Bien que la plateforme encourage la créativité, elle pousse aussi à une certaine uniformisation. Les créateurs sont constamment incités à s’adapter et à reproduire des tendances, ce qui peut renforcer les stéréotypes et limiter l’expression individuelle authentique.

Snapchat : L’autel de l’éphémère et de l’intime

Snapchat a révolutionné notre rapport au partage en ligne avec ses stories éphémères et ses filtres ludiques. Particulièrement populaire auprès de la génération Z, cette plateforme joue sur l’urgence et l’intimité.

Impact : Le caractère éphémère du contenu crée un sentiment d’urgence et joue sur la peur de manquer quelque chose (FOMO). Les filtres renforcent la diffusion de normes de beauté synthétiques, influençant notre perception de la beauté et de l’apparence, tant pour les créateurs que les spectateurs.

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Chacune de ces plateformes contribue à façonner notre moi digital de manière unique, nous encourageant à adopter différents aspects de notre personnalité et à les mettre en scène selon des codes spécifiques. Cette fragmentation de notre identité en ligne soulève des questions profondes sur l’authenticité, la perception de soi et notre rapport aux autres dans l’ère numérique.

Ces plateformes, en façonnant nos représentations numériques, ont des impacts profonds sur notre psyché et nos interactions sociales. Elles nous encouragent à créer des versions multiples et parfois contradictoires de nous-mêmes, influençant non seulement la manière dont nous nous percevons, mais aussi comment nous percevons les autres et le monde qui nous entoure.

Cette fragmentation de notre identité en ligne soulève des questions cruciales sur l’authenticité, l’estime de soi et la nature de nos relations interpersonnelles à l’ère du numérique. En prenant conscience de ces mécanismes, nous pouvons espérer naviguer plus consciemment dans ces espaces virtuels, en cherchant un équilibre entre expression de soi et authenticité.

La fragmentation de notre identité : Un jeu dangereux ?

Notre identité en ligne se divise en multiples facettes, adaptées à chaque plateforme. Cependant, à force de jongler avec ces différentes versions de nous-mêmes, nous risquons de perdre de vue notre véritable identité.

Cette fragmentation peut causer des troubles, notamment pour les créateurs de contenu, confrontés à un décalage entre leur image numérique et leur réalité, renforçant le syndrome de l’imposteur. Pour les spectateurs, la comparaison constante peut provoquer de l’anxiété sociale, voire une dépendance aux réseaux. L’obsession pour la validation à travers les “likes” peut nourrir un narcissisme digital ou exacerber des troubles comme la dysmorphophobie, où la perception de soi est déformée par les images idéalisées.

Ces dérives posent des questions sur l’impact de cette fragmentation identitaire, appelant à une prise de conscience et une utilisation plus équilibrée des réseaux sociaux.

Vers une déconstruction des mythes personnels ?

Cependant, une lueur d’espoir apparaît à l’horizon. L’émergence des formats éphémères comme les Stories sur diverses plateformes semble indiquer un désir, particulièrement chez les jeunes générations, de se libérer des contraintes d’une identité numérique permanente et soigneusement construite. Ces formats plus spontanés et authentiques pourraient-ils être les précurseurs d’une nouvelle ère d’authenticité en ligne ?

L’émergence des formats éphémères comme les Stories sur diverses plateformes (Instagram, Facebook, Snapchat, et même Twitter avec ses Fleets, bien que depuis abandonnés) semblait indiquer un désir, particulièrement chez les jeunes générations, de se libérer des contraintes d’une identité numérique permanente et soigneusement construite. Ces formats plus spontanés et apparemment authentiques ont été perçus comme les précurseurs d’une nouvelle ère d’authenticité en ligne. Cependant, cette vision optimiste mérite d’être nuancée.

Néanmoins la promesse de déconstruction des mythes personnels par les formats éphémères se heurte à plusieurs limites significatives. Bien que présentés comme une alternative rafraîchissante aux contenus permanents, ces nouveaux formats s’inscrivent en réalité dans les mêmes dynamiques fondamentales des réseaux sociaux, perpétuant la quête de visibilité, d’approbation et d’engagement.

Paradoxalement, leur supposée nature éphémère est souvent contredite par des fonctionnalités permettant leur conservation, comme les « Stories à la une » sur Instagram, qui transforment ces contenus temporaires en éléments durables de notre présence en ligne. Loin de libérer les utilisateurs des contraintes de la mise en scène de soi, ces formats ont engendré de nouvelles normes et attentes, où la spontanéité elle-même devient une performance codifiée. De plus, leur nature éphémère encourage une production et une consommation de contenu plus frénétique, intensifiant potentiellement notre présence en ligne et notre dépendance aux plateformes. Ainsi, ce qui devait être un outil de libération semble avoir créé de nouvelles formes de contraintes et d’attentes dans notre expression numérique.

Alors que nous continuons à évoluer dans cet océan numérique, il est crucial de garder à l’esprit que notre moi digital, bien qu’important, n’est qu’une facette de notre identité globale. L’avenir de nos mythologies personnelles en ligne reste à écrire, mais une chose est sûre : nous avons le pouvoir de façonner ces récits.

Le défi qui se présente à nous est de trouver un équilibre entre l’expression créative que permettent ces plateformes et le maintien d’une connexion authentique avec nous-mêmes et les autres. En prenant conscience de la nature construite de nos identités en ligne, nous pouvons espérer naviguer plus sereinement dans ces eaux numériques, en gardant toujours un pied ancré dans la réalité. Il est également crucial de cultiver des interactions sociales en dehors des réseaux numériques, qui peuvent contribuer à l’isolement et à divers troubles.

La majorité des études font état d’une association entre des troubles de santé mentale et le temps passé sur les réseaux sociaux, mais aucune n’a mis le doigt sur un lien de causalité.Luisa Fassi

Alors, la prochaine fois que vous posterez sur les réseaux sociaux, prenez un moment pour réfléchir : quelle histoire êtes-vous en train de raconter ? Et surtout, est-ce vraiment la vôtre ?

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Pour aller plus loin :

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